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The Illustrated Salomé in English & French (with Active Table of Contents) Page 6


  SALOMÉ. Vous ferez cela pour moi, Narraboth, et demain quand je passerai dans ma litiere sous la porte des vendeurs d’idoles, je laisserai tomber une petite fleur pour vous, une petite fleur verte.

  LE JEUNE SYRIEN. Princesse, je ne peux pas, je ne peux pas.

  SALOMÉ [souriant] Vous ferez cela pour moi, Narraboth. Vous savez bien que vous ferez cela pour moi. Et demain quand je passerai dans ma litiere sur le pont des acheteurs d’idoles je vous regarderai a travers les voiles de mousseline, je vous regarderai, Narraboth, je vous sourirai, peut-etre. Regardez-moi, Narraboth. Regardez-moi. Ah! vous savez bien que vous allez faire ce que je vous demande. Vous le savez bien, n’est-ce pas? . . . Moi, je sais bien.

  LE JEUNE SYRIEN [faisant un signe au troisieme soldat] Faites sortir le prophete . . . La princesse Salomé veut le voir.

  SALOMÉ. Ah!

  LE PAGE D’HERODIAS. Oh! comme la lune a l’air etrange! On dirait la main d’une morte qui cherche a se couvrir avec un linceul.

  LE JEUNE SYRIEN. Elle a l’air tres etrange. On dirait une petite princesse qui a des yeux d’ambre. A travers les nuages de mousseline elle sourit comme une petite princesse.

  [Le prophete sort de la citerne. Salomé le regarde et recule.]

  IOKANAAN. Ou est celui dont la coupe d’abominations est deja pleine? Ou est celui qui en robe d’argent mourra un jour devant tout le peuple? Dites-lui de venir afin qu’il puisse entendre la voix de celui qui a crie dans les deserts et dans les palais des rois.

  SALOMÉ. De qui parle-t-il?

  LE JEUNE SYRIEN. On ne sait jamais, princesse.

  IOKANAAN. Ou est celle qui ayant vu des hommes peints sur la muraille, des images de Chaldeens tracees avec des couleurs, s’est laissee emporter a la concupiscence de ses yeux, et a envoye des ambassadeurs en Chaldee?

  SALOMÉ. C’est de ma mere qu’il parle.

  LE JEUNE SYRIEN. Mais non, princesse.

  SALOMÉ. Si, c’est de ma mere.

  IOKANAAN. Ou est celle qui s’est abandonnee aux capitaines des Assyriens, qui ont des baudriers sur les reins, et sur la tete des tiares de differentes couleurs? Ou est celle qui s’est abandonnee aux jeunes hommes d’Egypte qui sont vetus de lin et d’hyacinthe, et portent des boucliers d’or et des casques d’argent, et qui ont de grand corps? Dites-lui de se lever de la couche de son impudicite, de sa couche incestueuse, afin qu’elle puisse entendre les paroles de celui qui prepare la voie du Seigneur; afin qu’elle se repente de ses peches. Quoiqu’elle ne se repentira jamais, mais restera dans ses abominations, dites-lui de venir, car le Seigneur a son fleau dans la main.

  SALOMÉ. Mais il est terrible, il est terrible.

  LE JEUNE SYRIEN. Ne restez pas ici, princesse, je vous en prie.

  SALOMÉ. Ce sont les yeux surtout qui sont terribles. On dirait des trous noirs laisses par des flambeaux sur une tapisserie de Tyr. On dirait des cavernes noires ou demeurent des dragons, des cavernes noires d’Egypte ou les dragons trouvent leur asile. On dirait des lacs noirs troubles par des lunes fantastiques . . . Pensez-vous qu’il parlera encore?

  LE JEUNE SYRIEN. Ne restez pas ici, princesse! Je vous prie de ne pas rester ici.

  SALOMÉ. Comme il est maigre aussi! il ressemble a une mince image d’ivoire. On dirait une image d’argent. Je suis sure qu’il est chaste, autant que la lune. Il ressemble a un rayon d’argent. Sa chair doit etre tres froide, comme de l’ivoire . . . Je veux le regarder de pres.

  LE JEUNE SYRIEN. Non, non, princesse!

  SALOMÉ. Il faut que je le regarde de pres.

  LE JEUNE SYRIEN. Princesse! Princesse!

  IOKANAAN. Qui est cette femme qui me regarde? Je ne veux pas qu’elle me regarde. Pourquoi me regarde-t-elle avec ses yeux d’or sous ses paupieres dorees? Je ne sais pas qui c’est. Je ne veux pas le savoir. Dites-lui de s’en aller. Ce n’est pas a elle que je veux parler.

  SALOMÉ. Je suis Salomé, fille d’Herodias, princesse de Judee.

  IOKANAAN. Arriere! Fille de Babylone! N’approchez pas de l’elu du Seigneur. Ta mere a rempli la terre du vin de ses iniquites, et le cri de ses peches est arrive aux oreilles de Dieu.

  SALOMÉ. Parle encore, Iokanaan. Ta voix m’enivre.

  LE JEUNE SYRIEN. Princesse! Princesse! Princesse!

  SALOMÉ. Mais parle encore. Parle encore, Iokanaan, et dis-moi ce qu’il faut que je fasse.

  IOKANAAN. Ne m’approchez pas, fille de Sodome, mais couvrez votre visage avec un voile, et mettez des cendres sur votre tete, et allez dans le desert chercher le fils de l’Homme.

  SALOMÉ. Qui est-ce, le fils de l’Homme? Est-il aussi beau que toi, Iokanaan?

  IOKANAAN. Arriere! Arriere! J’entends dans le palais le battement des ailes de l’ange de la mort.

  LE JEUNE SYRIEN. Princesse, je vous supplie de rentrer!

  IOKANAAN. Ange du Seigneur Dieu, que fais-tu ici avec ton glaive? Qui cherches-tu dans cet immonde palais? . . . Le jour de celui qui mourra en robe d’argent n’est pas venu

  SALOMÉ. Iokanaan.

  IOKANAAN. Qui parle?

  SALOMÉ. Iokanaan! Je suis amoureuse de ton corps. Ton corps est blanc comme le lis d’un pre que le faucheur n’a jamais fauche. Ton corps est blanc comme les neiges qui couchent sur les montagnes, comme les neiges qui couchent sur les montagnes de Judee, et descendent dans les vallees. Les roses du jardin de la reine d’Arabie ne sont pas aussi blanches que ton corps. Ni les roses du jardin de la reine d’Arabie, ni les pieds de l’aurore qui trepignent sur les feuilles, ni le sein de la lune quand elle couche sur le sein de la mer . . . Il n’y a rien au monde d’aussi blanc que ton corps.–Laisse-moi toucher ton corps!

  IOKANAAN. Arriere, fille de Babylone! C’est par la femme que le mal est entre dans le monde. Ne me parlez pas. Je ne veux pas t’ecouter. Je n’ecoute que les paroles du Seigneur Dieu.

  SALOMÉ. Ton corps est hideux. Il est comme le corps d’un lepreux. Il est comme un mur de platre ou les viperes sont passees, comme un mur de platre ou les scorpions ont fait leur nid. Il est comme un sepulcre blanchi, et qui est plein de choses degoutantes. Il est horrible, il est horrible ton corps! . . . C’est de tes cheveux que je suis amoureuse, Iokanaan. Tes cheveux ressemblent a des grappes de raisins, a des grappes de raisins noirs qui pendent des vignes d’Edom dans le pays des Edomites. Tes cheveux sont comme les cedres du Liban, comme les grands cedres du Liban qui donnent de l’ombre aux lions et aux voleurs qui veulent se cacher pendant la journee. Les longues nuits noires, les nuits ou la lune ne se montre pas, ou les etoiles ont peur, ne sont pas aussi noires. Le silence qui demeure dans les forets n’est pas aussi noir. Il n’y a rien au monde d’aussi noir que tes cheveux . . . Laisse-moi toucher tes cheveux.

  IOKANAAN. Arriere, fille de Sodome! Ne me touchez pas. Il ne faut pas profaner le temple du Seigneur Dieu.

  SALOMÉ. Tes cheveux sont horribles. Ils sont couverts de boue et de poussiere. On dirait une couronne d’epines qu’on a placee sur ton front. On dirait un noeud de serpents noirs qui se tortillent autour de ton cou. Je n’aime pas tes cheveux . . . C’est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. Ta bouche est comme une bande d’ecarlate sur une tour d’ivoire. Elle est comme une pomme de grenade coupee par un couteau d’ivoire. Les fleurs de grenade qui fleurissent dans les jardins de Tyr et sont plus rouges que les roses, ne sont pas aussi rouges. Les cris rouges des trompettes qui annoncent l’arrivee des rois, et font peur a l’ennemi ne sont pas aussi rouges. Ta bouche est plus rouge que les pieds de ceux qui foulent le vin dans les pressoirs. Elle est plus rouge que les pieds des colombes qui demeurent dans les temples et sont nourries par les pretres. Elle est plus rouge que les pieds de celui qui revient d’une foret ou il a tue un lion et vu des tigres dores. Ta bouche est comme une branche de corail que des pecheurs ont trouvee dans le crepuscule de la mer et qu’ils reservent pour les rois . . . ! Elle est comme le vermillon que les Moabites trouvent dans les mines de Moab et que les rois leur prennent. Elle est comme l’arc du roi des Perses qui est peint avec du vermillon et qui a des cornes de corail. Il n’y a rien au monde
d’aussi rouge que ta bouche . . . laisse-moi baiser ta bouche.

  IOKANAAN. Jamais! fille de Babylone! Fille de Sodome! jamais.

  SALOMÉ. Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche.

  LE JEUNE SYRIEN. Princesse, princesse, toi qui es comme un bouquet de myrrhe, toi qui es la colombe des colombes, ne regarde pas cet homme, ne le regarde pas! Ne lui dis pas de telles choses. Je ne peux pas les souffrir . . . Princesse, princesse, ne dis pas de ces choses.

  SALOMÉ. Je baiserai ta bouche, Iokanaan.

  LE JEUNE SYRIEN. Ah! [Il se tue et tombe entre Salomé et Iokanaan.]

  LE PAGE D’HERODIAS. Le jeune Syrien s’est tue! le jeune capitaine s’est tue! Il s’est tue, celui qui etait mon ami! Je lui avais donne une petite boite de parfums, et des boucles d’oreilles faites en argent, et maintenant il s’est tue! Ah! n’a-t-il pas predit qu’un malheur allait arriver? . . . Je l’ai predit moi-meme et il ut arrive. Je savais bien que la lune cherchait un mort, mais je ne savais pas que c’etait lui qu’elle cherchait. Ah! pourquoi ne l’ai-je pas cache de la lune? Si je l’avais cache dans une caverne elle ne l’aurait pas vu.

  LE PREMIER SOLDAT. Princesse, le jeune capitaine vient de se tuer.

  SALOMÉ. Laisse-moi baiser ta bouche, Iokanaan.

  IOKANAAN. N’avez-vous pas peur, fille d’Herodias? Ne vous ai-je pas dit que j’avais entendu dans le palais le battement des ailes de l’ange de la mort, et l’ange n’est-il pas venu?

  SALOMÉ. Laisse-moi baiser ta bouche.

  IOKANAAN. Fille d’adultere, il n’y a qu’un homme qui puisse te sauver. C’est celui dont je t’ai parle. Allez le chercher. Il est dans un bateau sur la mer de Galilee, et il parle a ses disciples. Agenouillez-vous au bord de la mer, et appelez-le par son nom. Quand il viendra vers vous, et il vient vers tous ceux qui l’appellent, prosternez-vous a ses pieds et demandez-lui la remission de vos peches.

  SALOMÉ. Laisse-moi baiser ta bouche.

  IOKANAAN. Soyez maudite, fille d’une mere incestueuse, soyez maudite.

  SALOMÉ. Je baiserai ta bouche, Iokanaan.

  IOKANAAN. Je ne veux pas te regarder. Je ne te regarderai pas. Tu es maudite, Salomé, tu es maudite. [Il descend dans la citerne.]

  SALOMÉ. Je baiserai ta bouche, Iokanaan, je baiserai ta bouche.

  LE PREMIER SOLDAT. Il faut faire transporter le cadavre ailleurs. Le tetrarque n’aime pas regarder les cadavres, sauf les cadavres de ceux qu’il a tues lui-meme.

  LE PAGE D’HERODIAS. Il etait mon frere, et plus proche qu’un frere. Je lui ai donne une petite boite qui contenait des parfums, et une bague d’agate qu’il portait toujours a la main. Le soir nous nous promenions au bord de la riviere et parmi les amandiers et il me racontait des choses de son pays. Il parlait toujours tres bas. Le son de sa voix ressemblait au son de la flute d’un joueur de flute. Aussi il aimait beaucoup a se regarder dans la riviere. Je lui ai fait des reproches pour cela.

  SECOND SOLDAT. Vous avez raison; il faut cacher le cadavre. Il ne faut pas que le tetrarque le voie.

  PREMIER SOLDAT. Le tetrarque ne viendra pas ici. Il ne vient jamais sur la terrasse. Il a trop peur du prophete.

  [Entree d’Herode, d’Herodias et de toute la cour.]

  HERODE. Ou est Salomé? Ou est la princesse? Pourquoi n’est-elle pas retournee au festin comme je le lui avais commande? ah! la voila!

  HERODIAS. Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez toujours!

  HERODE. La lune a l’air tres etrange ce soir. N’est-ce pas que la lune a l’air tres etrange? On dirait une femme hysterique, une femme hysterique qui va cherchant des amants partout. Elle est nue aussi. Elle est toute nue. Les nuages cherchent a la vetir, mais elle ne veut pas. Elle chancelle a travers les nuages comme une femme ivre . . . Je suis sur qu’elle cherche des amants . . . N’est-ce pas qu’elle chancelle comme une femme ivre? Elle ressemble a une femme hysterique, n’est-ce pas?

  HERODIAS. Non. La lune ressemble a la lune, c’est tout . . . Rentrons Vous n’avez rien a faire ici.

  HERODE. Je resterai! Manasse, mettez des tapis la. Allumez des flambeaux. Apportez les tables d’ivoire, et les tables de jaspe. L’air ici est delicieux. Je boirai encore du vin avec mes hotes. Aux ambassadeurs de Cesar il faut faire tout honneur.

  HERODIAS. Ce n’est pas a cause d’eux que vous restez.

  HERODE. Oui, l’air est delicieux. Viens, Herodias, nos hotes nous attendent. Ah! j’ai glisse! j’ai glisse dans le sang! C’est d’un mauvais presage. C’est d’un tres mauvais presage. Pourquoi y a-t- il du sang ici? . . . Et ce cadavre? Que fait ici ce cadavre? Pensez-vous que je sois comme le roi d’Egypte qui ne donne jamais un festin sans montrer un cadavre a ses hotes? Enfin, qui est-ce? Je ne veux pas le regarder.

  PREMIER SOLDAT. C’est notre capitaine, Seigneur. C’est le jeune Syrien que vous avez fait capitaine il y a trois jours seulement.

  HERODE. Je n’ai donne aucun ordre de le tuer.

  SECOND SOLDAT. Il s’est tue lui-meme, Seigneur.

  HERODE. Pourquoi? Je l’ai fait capitaine!

  SECOND SOLDAT. Nous ne savons pas, Seigneur. Mais il s’est tue lui-meme.

  HERODE. Cela me semble etrange. Je pensais qu’il n’y avait que les philosophes romains qui se tuaient. N’est-ce pas, Tigellin, que les philosophes a Rome se tuent?

  TIGELLIN. Il y en a qui se tuent, Seigneur. Ce sont les Stoiciens. Ce sont de gens tres grossiers. Enfin, ce sont des gens tres ridicules. Moi, je les trouve tres ridicules.

  HERODE. Moi aussi. C’est ridicule de se tuer.

  TIGELLIN. On rit beaucoup d’eux a Rome. L’empereur a fait un poeme satirique contre eux. On le recite partout.

  HERODE. Ah! il a fait un poeme satirique contre eux? Cesar est merveilleux. Il peut tout faire . . . C’est etrange qu’il se soit tue, le jeune Syrien. Je le regrette. Oui, je le regrette beaucoup. Car il etait beau. Il etait meme tres beau. Il avait des yeux tres langoureux. Je me rappelle que je l’ai vu regardant SALOMÉ d’une facon langoureuse. En effet, j’ai trouve qu’il l’avait un peu trop regardee.

  HERODIAS. Il y en a d’autres qui la regardent trop.

  HERODE. Son pere etait roi. Je l’ai chasse de son royaume. Et de sa mere qui etait reine vous avez fait une esclave, Herodias. Ainsi, il etait ici comme un hote. C’etait a cause de cela que je l’avais fait capitaine. Je regrette qu’il soit mort . . . Enfin, pourquoi avez-vous laisse le cadavre ici? Il faut l’emporter ailleurs. Je ne veux pas le voir . . . Emportez-le . . . [On emporte le cadavre.] Il fait froid ici. Il y a du vent ici. N’est-ce pas qu’il y a du vent?

  HERODIAS. Mais non. Il n’y a pas de vent.

  HERODE. Mais si, il y a du vent . . . Et j’entends dans l’air quelque chose comme un battement d’ailes, comme un battement d’ailes gigantesques. Ne l’entendez-vous pas?

  HERODIAS. Je n’entends rien.

  HERODE. Je ne l’entends plus moi-meme. Mais je l’ai entendu. C’etait le vent sans doute. C’est passe. Mais non, je l’entends encore. Ne l’entendez-vous pas? C’est tout a fait comme un battement d’ailes.

  HERODIAS. Je vous dis qu’il n’y a rien. Vous etes malade. Rentrons

  HERODE. Je ne suis pas malade. C’est votre fille qui est malade. Elle a l’air tres malade, votre fille. Jamais je ne l’ai vue si pale.

  HERODIAS. Je vous ai dit de ne pas la regarder.

  HERODE. Versez du vin. [On apporte du vin.] Salomé, venez boire un peu de vin avec moi. J’ai un vin ici qui est exquis. C’est Cesar lui-meme qui me l’a envoye. Trempez la-dedans vos petites levres rouges et ensuite je viderai la coupe.

  SALOMÉ. Je n’ai pas soif, tetrarque.

  HERODE. Vous entendez comme elle me repond, votre fille.

  HERODIAS. Je trouve qu’elle a bien raison. Pourquoi la regardez- vous toujours?

  HERODE. Apportez des fruits. [On apporte des fruits.] Salomé, venez manger du fruit avec moi. J’aime beaucoup voir dans un fruit la morsure de tes petites dents. Mordez un tout petit morceau de ce fruit, et ensuite je mangerai ce qui reste.

  SALOMÉ. Je n
’ai pas faim, tetrarque.

  HERODE [a Herodias] Voila comme vous l’avez elevee, votre fille.

  HERODIAS. Ma fille et moi, nous descendons d’une race royale. Quant a toi, ton grand-pere gardait des chameaux! Aussi, c’etait un voleur!

  HERODE. Tu mens!

  HERODIAS. Tu sais bien que c’est la verite.

  HERODE. Salomé, viens t’asseoir pres de moi. Je te donnerai le trone de ta mere.

  SALOMÉ. Je ne suis pas fatiguee, tetrarque.

  HERODIAS. Vous voyez bien ce qu’elle pense de vous.

  HERODE. Apportez . . . Qu’est-ce que je veux? Je ne sais pas. Ah! Ah! je m’en souviens . . .

  LA VOIX D’IOKANAAN. Voici le temps! Ce que j’ai predit est arrive, dit le Seigneur Dieu. Voici le jour dont j’avais parle.

  HERODIAS. Faites-le taire. Je ne veux pas entendre sa voix. Cet homme vomit toujours des injures contre moi.

  HERODE. Il n’a rien dit contre vous. Aussi, c’est un tres grand prophete.

  HERODIAS. Je ne crois pas aux prophetes. Est-ce qu’un homme peut dire ce qui doit arriver? Personne ne le sait. Aussi, il m’insulte toujours. Mais je pense que vous avez peur de lui . . . Enfin, je sais bien que vous avez peur de lui.

  HERODE. Je n’ai pas peur de lui. Je n’ai peur de personne.

  HERODIAS. Si, vous avez peur de lui. Si vous n’aviez pas peur de lui, pourquoi ne pas le livrer aux Juifs qui depuis six mois vous le demandent?

  UN JUIF. En effet, Seigneur, il serait mieux de nous le livrer.

  HERODE. Assez sur ce point. Je vous ai deja donne ma reponse. Je ne veux pas vous le livrer. C’est un homme qui a vu Dieu.

  UN JUIF. Cela, c’est impossible. Personne n’a vu Dieu depuis le prophete Elie. Lui c’est le dernier qui ait vu Dieu. En ce temps- ci, Dieu ne se montre pas. Il se cache. Et par consequent il y a de grands malheurs dans le pays.

  UN AUTRE JUIF. Enfin, on ne sait pas si le prophete Elie a reellement vu Dieu. C’etait plutot l’ombre de Dieu qu’il a vue.

  UN TROISIEME JUIF. Dieu ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien.